En matière de littérature on, et je suis du nombre, peut priser la lecture de stylistes, du reste c'est un des motifs, mais certes pas le seul, qui me fait préférer à tout autre auteur mon cher Nabokov. Ce qui, ce penchant que j'ai pour les écrivains sachant jouer avec les mots, doit expliquer en grande partie le plaisir que j'éprouve également à parcourir, en dépit, mais aussi et surtout à cause, de son penchant à lui pour les digressions, la récurrence de certaines tournures grammaticales, pour tout dire à mes yeux presque des tics scripturaux (comme il existe des tics verbaux), et puis cette façon qu'il a de s'écouter écrire, de même qu'à force, et pour cause, les longueurs, enfin la tendance qu'il a pour ainsi dire de se vanter d'être un humble, doublée, cette tendance, de celle de vouloir régler des comptes avec les circonstances, les gens et les faits d'un passé qu'il n'a manifestement pas digéré, et qui, ce passé, l'a pourtant façonné et, à quelque chose ses malheurs lui sont finalement bons, lui fournit, depuis, la matière première des sujets qu'il traite au fil des romans qu'il publie, Jean Rouaud. Ce qui m'évoque un souvenir : un jour d'été où une pluie fine, grise et têtue, tombait (comme elle le fait durant dix pages au moins, cependant délicieuses, dans le premier roman de ce même Jean Rouaud), alors que nous nous débattions, mais le combat était perdu d'avance, contre un ennui croissant au cours d'un séjour familial dans une station balnéaire du Pas-de-Calais, j'entrai dans un modeste magasin fournissant aux touristes cartes postales, ouvrages à succès, jouets de plage et presse quotidienne, et ce fut alors que j'entendis un vendeur dire au propriétaire de ce commerce : "C'est un temps à lire du Proust". J'avais douze ans, ou quelque chose comme ça, et cette remarque d'une terrible justesse frappa durablement mon esprit. La preuve que. Pour en revenir au père de l'admirable Les Champs d'honneur (prix Goncourt 1990), je lisais dernièrement son Un peu la guerre, et j'y découvris, pour moi aussi inattendues qu'un commentaire météorologique frappé au coin du bon sens littéraire émis dans une boutique saisonnière du morne Stella-Plage des années soixante, ces lignes à propos des jeux de mots : "Je les apprécie peu. Ils traduisent surtout à mes yeux une dérobade, une paresse d'esprit. On se retranche derrière eux pour s'éviter une analyse plus poussée et se parer d'un ricanement." La condamnation, aussi péremptoirement édictée, surgie comme à brûle-pourpoint, me fit sursauter, elle m'aurait même brutalement réveillé si j'avais été davantage endormi. Jean Rouaud, tout de douceur, toute délicatesse, aussi poli que ses phrases, et discret derrière elles, qui revendique à l'occasion ne prétendre écrire que des histoires, voire des "préhistoires", qui prend ses distances avec les partis pris, voilà qu'il s'abaisse à s'élever contre un genre dont moi je me délecte : les jeux de mots ?! Ce qui au passage me remémore cette citation bien connue de Victor Hugo : "Le calembour est la fiente de l'esprit qui vole" (Les Misérables) - mais on comprend d'ordinaire mal cette saillie (car, tout de même, relisons-la : l'esprit y vole, c'est déjà ça !), et de toute façon pour elle j'ai la réponse qui tue : "Et voilà pourquoi Victor avait la tête d'un constipé." Bref, ce Jean Rouaud, que j'admirais tant pour son style, m'a bien énervé sur ce coup-là. Car, comme je le suggérais déjà plus haut, écrire, et j'entends par là faire de la littérature, n'est-ce pas d'abord, voire uniquement, jouer avec les mots ?
Quoi qu'il en soit, voici pour les amateurs trente nouveaux fruits du travail de mon humble paresse d'esprit à moi.
Bises à toi.
Saint Agur : patron de ceux qui n’existent pas, parce que c’est juste une marque de fromage.
Saint Boniface : patron de ceux qui sont laids aussi côté pile.
Saint Bruno : patron de ceux qui s’opposent, dans la langue de Shakespeare s’il vous plaît, au mariage de leur fils avec, précisément, une Anglaise.
Sainte Christelle : patronne des hérétiques qui soutiennent que Notre Seigneur Jésus était une femme.
Sainte Christine : patronne des hérétiques qui soutiennent que Notre Seigneur Jésus n’est pas mort crucifié, mais branché.
Saint Denis : patron des adeptes de la double négation.
Saint Dominique : patron de ceux qui ont remarqué que quand il est plongé un certain temps dans un liquide, et en particulier un liquide froid, leur organe viril devient tout petit. (On peut du reste s’étonner du fait que ce prénom soit mixte.)
Sainte Donatienne : patronne de ceux qui, ne disposant en propre ni d’un puits ni de l’eau courante, se trouvent contraints d’acheter, d’emprunter ou de voler le plus indispensable des liquides à des voisins, à la fontaine du village, ou au supermarché (ou alors, il faut attendre la prochaine averse).
Saint Dorian : patron de ceux qui savent quoi répondre (mais avec un léger défaut de prononciation) quand on les remercie. (Voir aussi Saint Adrien.)
Sainte Dorothée : patronne de ceux sur lesquels le thé n’a aucun effet excitant.
Saint Emilien : patron de ceux qui ont su se montrer attachants et qui le disent.
Sainte Emmanuelle : patronne de ceux qui ne sont contents qu’une fois par an.
Saint Etienne : patron de ceux qui préfèrent, et de loin, la leur à celle de leurs amis.
Sainte Eva : patronne de ceux qui vous laissent partir, voire vous envoient promener.
Sainte Julie : patronne de ceux qui ont disposé d’une couche.
Sainte Julia : patronne de ceux qui ont disposé d’une couche quelque part, mais qui ne précisent pas où.
Saint Julien : patron de ceux qui ont eu une relation, mais c’est fini.
Sainte Lisbeth : patronne de ceux qui consomment de la littérature crétine.
Saint Marius : patron de ceux qui œuvrent au mélange des cultures, en tout cas des coutumes.
Saint Mathurin : patron de ceux qui pensent que trop de mathématiques (donc trop de calculs) finissent par vous bousiller les lombaires (voire carrément le système rénal).
Sainte Mathurine : patronne des laborantins spécialisés dans l’analyse du pipi.
Sainte Muriel : patronne de celles qui ont dépassé l’âge des enfantillages.
Sainte Olivia : patronne des grabataires.
Saint Parfait : patron de personne.
Saint Rudolph : patron des gens (et ils sont nombreux) qui ignorent en l’honneur de qui ou de quoi on a donné tel nom à la voie de circulation où pourtant ils habitent.
Sainte Urielle : patronne de celles qui, contrairement à d’autres, auraient trouvé ça drôle.
Sainte Valérie : patronne des serviteurs hilares.
Sainte Viviane : patronne de ceux qui apprécient beaucoup ceux qui se prénomment Yann.
Saint Willy : patron de ceux qui ont entendu un lit (sans doute parce qu’il grinçait, pour une raison ou pour une autre).
Sainte Zita : patronne de ceux qui s’efforcent de ne jamais bégayer.
© Pierre-René Legrand